jeudi 5 octobre 2017

A mon aïeule Joséphine et à ma grand-mère Anne. Les maisons des rochers de Graufthal (67)

C'est grâce à mon amie Ambre et à ses questions que cet article voit le jour. Dimanche 1er octobre, j'ai eu la chance d'aller visiter en Alsace – commune d'Eschbourg, annexe de Graufthal, Bas-Rhin - la maison où est née et a vécu au début de sa vie ma grand-mère maternelle, ainsi que sa mère (mon arrière-grand-mère) et son jeune frère, mon grand-oncle.

Photo : les maisons des rochers de Graufhal et mon arrivée sur les lieux



Je n’avais jamais visité cette maison. C’est il y a plusieurs années, alors que je cherchais des informations sur Graufthal que j’ai découvert que le site avait été classé monument historique en 1988 et que les maisons se visitaient. Il y a des tas de sites qui parlent de ces maisons et y exposent des photos. Ces maisons ont été remeublées, sauf celle de mon aïeule qui sert de maison d'exposition d'objets anciens et parle de la fabrique d'allumettes de Graufthal. Sur la plaquette de la visite des maisons, il y a une erreur concernant la date de départ de la famille Wagner. Je la leur ai signalée et ils m'ont très gentiment répondu ce matin, l'information sera corrigée :-). On trouve d'autres erreurs ici et là sur certains sites, confusion de noms de famille, et lorsque j'ai vu ces erreurs, je les ai signalées également.

Je m'étais rendue à Graufthal vers l’âge de 12 ou 13 ans avec mes parents et ma grand-mère mais nous n'étions jamais montés jusqu’aux maisons puisque l’accès en était interdit. Ma grand-mère nous les avait montrées depuis une petite place de de mini village (deux rues en tout et pour tout) et nous avait dit que c’était là qu’elle avait vécu dans son enfance et son adolescence. Par contre, elle me parlait de son enfance depuis que je suis toute jeune, me racontant comment elle allait chercher de l’eau à une fontaine (pas d’eau courante, il n’y en a toujours pas), pas d’électricité (mais l’une des trois habitantes a fait installer par la suite l’électricité chez elle). Pour se chauffer, il y avait de petits poêles à bois puisque la forêt est toute proche. Ma grand-mère n’est jamais allée à l’école. Elle a appris à lire (et à parler le français) à l’âge de 16 ou 17 ans quand elle a rencontré mon grand-père à Nancy, lui-même Luxembourgeois. Ma grand-mère est née allemande puisqu’à l’époque Graufthal était allemande. Mais ils parlaient le patois alsacien.

Pour gagner de l’argent, les femmes et même les enfants tricotaient (de ce fait, ma grand-mère a toujours beaucoup tricoté et c’est elle qui m’a appris à tricoter quand j’avais une dizaine d’années). Il y avait aussi des chèvres dans une pièce qui servait d’étable. Mon arrière-grand-mère souffrait de violentes crises d’asthme. Ma grand-mère m’en a beaucoup parlé. Je suppose que les conditions de vie dans les rochers (on voit en visitant et sur les photos que la roche est apparente au sol, non dallée, et aussi revient dans les habitations au niveau des « plafonds ») peuvent expliquer cet asthme : froid, humidité et également peut-être une allergie aux poils d’animaux. Cela dit, je ne suis pas sûre du tout que mon aïeule possédait des chèvres. 

Il y avait aussi au-dessus des maisons une fabrique d’allumettes mais selon le site de l'association des maisons des rochers, rien ne prouve que c’est bien dans l'endroit au-dessus des maisons (c'est également une habitation semi-troglodyte) qu’on fabriquait les allumettes. Je ne me souviens pas si ma grand-mère m’a parlé de cela un jour… Peut-être pas fait attention. À cette époque je ne savais pas qu’un jour j’éprouverais autant d’intérêt pour les gens (peu nombreux) qui composaient ma famille.

Pour l’eau, il y a cinq fontaines dans les bois. Dans le village, au pied des rochers, il y a un genre de bac avec une mince arrivée d’eau. Je ne sais plus si ma grand-mère allait chercher l’eau à cet endroit ou dans la forêt. En tout cas, je me souviens qu’elle devait traverser la forêt (pour l’eau ? en tout cas pour aller à Eschbourg à quelques kilomètres où se trouvaient grand-parents, oncles et tantes). Et elle me disait qu’elle avait très peur en hiver car elle entendait hurler les loups.

Mon arrière-grand-mère était fille-mère. Elle vivait seule avec ses deux jeunes enfants. Pas de mari, vie difficile, il fallait bien se loger. Les plus pauvres vivaient là, dans ces anciennes grottes du moyen-âge. La maison qui porte l’inscription 1760 sur le linteau est celle de ma grand-mère (maison Wagner).


Extrait d'un article de Wikipédia : Histoire
Selon les archéologues Robert Forrer et Charles Spindler, qui ont fouillé les lieux en 1899, les premières grottes ont été aménagées dans les rochers de Graufthal au Moyen Âge. Elles étaient alors délimitées par de simples poteaux de bois plantés dans le sol, et dont les trous ont subsisté plusieurs siècles. Elles servaient de grenier, avant d'être transformées en logements de fortune au xviie siècle puis en maisons d'habitation au xviiie siècle. L'une des portes des actuelles maisons troglodytes est datée de 1760.
Les maisons ont accueilli trois familles au xxe siècle : la famille Weber, la famille Wagner et la famille Ottermann. La famille Wagner fut la première à quitter les lieux après le décès de Joséphine Wagner. Le premier étage de la famille Weber s'écroula en 1931 et sa propriétaire mourut peu de temps après. Les deux sœurs Ottermann, Madeleine et Catherine, restèrent. Madeleine mourut en 1947, à 89 ans, et Catherine, dite « Felsekaeth » en patois alsacien, fut la dernière habitante des maisons troglodytes jusqu'à sa mort en 1958. Elle racontait aux touristes que sa maison avait hébergé jusqu’à dix-huit occupants en même temps, la cuisine étant commune à deux habitations.

Photos : la maison Wagner, la maison Weber, la maison Ottermann
La maison Wagner (mon arrière-grand-mère et ses deux enfants). La maison est transformée en musée mais n'a pas été remeublée. De toute façon, il ne devait pas y avoir grand-chose en dehors de lits et d'une table et peut-être un poêle à bois.

Je découvre avec beaucoup d'émotion la maison dans laquelle ont vécu ma grand-mère et mon arrière-grand-mère Joséphine, ainsi qu'Albert mon grand-oncle.

on voit bien la roche apparente partout. Ce sont des maisons semitroglodytes

Le plancher de la chambre à l'étage a disparu. Le landau n'est pas de la famille. Simple objet d'exposition


Des objets sont entreposés pour  l'exposition et l'on y parle de la fabrique d'allumettes de Graufthal

photo trouvée sur un site de ces mêmes maisons des rochers de Graufthal : un poêle à bois et de vieux fers à repasser

La maison voisine : maison de la famille Weber


La porte d'entrée à double battant

Le fumoir

un poêle à bois - à droite un ancien puits

dans la pièce principale, une table et un lit


ainsi qu'une armoire avec des vêtements féminins d'époque

le plancher de la chambre des enfants (à l'étage, en mezzanine)





Christine Weber, la doyenne, allait travailler dans les villages environnants pour subvenir aux besoins de ses cinq enfants (elle était veuve). Elle possédait quelques chèvres. Elle put faire installer l'électricité grâce aux petites oboles que lui laissaient des visiteurs en partant. 

Depuis l'étable (chèvres) qui sert aussi d'atelier, l'échelle de bois qui permet d'accéder à la chambre des enfants

L'étable

le sol rocheux qui sert de passage devant les maisons. A l'époque de ma grand-mère il n'y avait pas les barrières de sécurité.

Troisième et dernière maison : la maison de Madeleine et Catherine Ottermann : 

Chambre de Madeleine, dans la première pièce à gauche, la seule pièce de toutes ces habitations qui possède un plancher. Madeleine était la plus âgée des deux sœurs.

La cuisine, commune aux deux familles. Catherine raconte que ses parents et leurs 8 enfants vivaient dans une petite pièce ; quelques uns des enfants dormaient dans la soupente aménagée sous le toit, dans la falaise. La cuisine de 6 m2 était commune à la famille de ses parents et à celle de sa tante qui élevait 7 enfants dans la pièce à côté. [...] la roche faisait fonction de plancher, de mur arrière et en partie de plafond. Il n'y avait ni électricité, ni eau courante. Sur la table une lampe à pétrole et c'est avec beaucoup de peine qu'il fallait monter l'eau de la fontaine du village


Ici le sol n'est que la roche. Chambre de Catherine Ottermann


A l'extérieur, tout au bout de l'avancée, un totem a été réalisé - en forme d'allumette géante - en mémoire de Catherine Ottermann, dite "Felsekaeth" en patois alsacien. Le bas du totem a été sculpté également et l'on voit Catherine tricoter. Le totem est relié symboliquement à la maison des sœurs Ottermann par un fil de laine qui part du tricot. 




façade de la maison Ottermann reliée par un fil de laine rose


Quant à savoir si j’aurais aimé vivre là, je me suis posée la question dimanche en rentrant de la visite : la réponse est non. Outre le froid, l’humidité et la précarité (c’est très étriqué), je n’aurais pas aimé avoir ces rochers apparents au-dessus de ma tête en allant me coucher (les enfants dormaient en « mezzanine », accès par une échelle de bois et les parents – donc la mère en ce qui concerne mon aïeule - dormaient dans la pièce principale en rez de chaussée). Sinon le village est super joli et la forêt tout alentour est bien plaisante. Mais j'ai vu cela sous le soleil et il faisait doux, presque chaud. En hiver ou les jours de pluie ou de grisaille, ça doit être assez angoissant.

La forêt juste en face surplombant l'annexe Graufthal

Les rochers

Deux églises face à face : une église luthérienne et une église catholique. Photo réalisée sans trucage : que la lumière soit !!! (sur l'une et l'autre des églises)


Mon arrière-grand-mère Joséphine est morte le 7 janvier 1925. Elle n'avait même pas 39 ans. C'est alors que ma grand-mère et son frère ont quitté la maison. Ma grand-mère avait 16 ans, son frère 13. Ils sont allés vivre un peu à Saverne chez une tante puis ma grand-mère est venue chercher du travail à Nancy où elle a rencontré un jeune Luxembourgeois venu lui aussi chercher du travail à Nancy. C'est mon grand-père qui a appris à lire et à écrire à ma grand-mère, ce qu'elle faisait très bien et elle a beaucoup écrit et était une grande lectrice jusqu'à sa mort. Elle s'est même fait opérer des deux yeux à plus de 80 ans pour pouvoir continuer à lire.

Parallèlement à cela mes arrière-grands-parents paternels (du même berceau d'Alsace bossue, à environ 20 km de mes ascendants maternels) avaient fait le choix de nationalité française (ou plutôt leurs parents) entre 1872 et 1885 et étaient venus vivre à Nancy (exode), ne voulant pas devenir allemands. Ils ont donc tout laissé sur place et sont partis de rien du tout. lls ne parlaient pas non plus un seul mot de français en arrivant à Nancy.

Voici deux autres liens où l'on peut voir Graufthal autrefois (premier lien) et où l’on raconte la vie autrefois (deuxième lien)



Et avant de tourner la page, dernier regard vers les maisons des rochers de Graufthal


Après la visite, j'ai fait la randonnée "circuit des cinq fontaines" à travers la forêt d'Eschbourg-Graufthal. En contrebas de la forêt, visible depuis la route, se trouve la niche de la grande statue de la Vierge en bois polychrome. L’histoire se serait passée à la veille de Noël : « Un paysan d’Eschbourg voulant se rendre à la messe de minuit à l’église de Graufthal aurait été surpris par une tempête de neige. Son attelage pris dans la tourmente n’avait plus que le son des cloches, annonçant le début du culte, pour se diriger et se précipita du haut de la falaise. Le paysan survécut à sa chute. En remerciement, il fit ériger cette statue que l’on voit encore de nos jours. Quant aux chevaux, on ignore s’ils furent également épargnés… » 

C'est sans trucage aussi : pour trouver la Vierge, suivez la lumière bleue :-)

 Je vous rappelle que vous pouvez cliquer sur les photos pour les agrandir. Bonne visite.