Il faut prendre le bon moment lorsqu'il se présente, ces instants-là sont si rares. Marie K.
"Vincent qu'on assassine", de Marianne Jaeglé
Je l'ai lu presque d'une traite, pourtant Dieu sait comme j'ai tendance à sombrer dans le sommeil lorsque je lis trop longtemps. La fatigue, mes yeux qui par moments refusent de continuer à me suivre… Mais j'étais prise par le récit, par la façon dont l'auteure nous retrace la vie de Vincent Van Gogh depuis son installation dans la maison jaune à Arles (mai 1888) jusqu'à sa mort et son enterrement à Auvers-sur-Oise fin juillet 1890.
Le narrateur est extradiégétique mais également omniscient et on pénètre de temps à autre les pensées de Vincent, sa façon de voir, de ressentir, ses espérances, ses tourments et les interrogations qui sont les siennes. Vincent le pur, Vincent le solitaire malgré lui, Vincent l'écorché, Vincent qui doute, qui porte une admiration et une amitié sans borne à Paul Gauguin qui visiblement ne les mérite pas. L'épilogue nous le confirmera. Vincent qui veut surtout ne jamais nuire à qui que ce soit et qui a priori - n'en déplaise aux détracteurs de la thèse - aurait eu des paroles assez ambiguës sur son lit d'agonie pour laisser penser à un suicide plutôt que de livrer quelqu'un qui lui aurait fait du mal. A l'image de Dieu, à l'image du Christ, car n'oublions pas que - même s'il n'y est pas fait allusion dans ce roman - Vincent avait voulu devenir pasteur et était obsédé par les récits bibliques et les paraboles de Jésus, par l'image du semeur, par le Créateur. La religion qui n'a pas voulu de lui – il n'a pas pu finaliser ses études de théologie et est devenu prédicateur laïc avant de se tourner définitivement vers la peinture. Le monde de la peinture qui n'a pas voulu de lui puisque officiellement il n'a vendu qu'une seule toile de son vivant, "la Vigne rouge", achetée à Bruxelles en 1890. La vigne, encore une image biblique très symbolique dans les évangiles.
Je n'ai pu retenir mes larmes au moment du récit où l'on apprend que puisque Vincent est premièrement "protestant" et deuxièmement "suicidé" (thèse officielle) il n'aura ni droit à un office religieux dans la petite église d'Auvers-sur-Oise dont il a fait un mois avant sa mort une toile de toute beauté – le curé refuse de dire une messe pour un protestant - ni même celui d'être enterré dans le cimetière attenant à l'église. Il aura tout de même droit à une sépulture dans le nouveau cimetière qui se trouve à l'écart dans un champ en hauteur, non loin de l'endroit où il a peint son dernier tableau "champ de blé aux corbeaux". Cela m'a bouleversée car cet être qui a passé sa vie à penser à son Créateur, à vivre dans la plus grande simplicité et humilité, n'a même pas eu droit à une messe ou à un culte pour ses obsèques.
J'ai connu dans mon enfance et dans mon adolescence pareils conflits de clochers, des curés qui refusaient de "prêter" leur église même le temps d'un office à la communauté protestante pour la cérémonie religieuse de l'un des leurs. C'est la mairie de la ville qui prêtait alors une petite salle en rez de chaussée, celle-là même qui servait pour les cours de catéchisme et pour les cultes de baptêmes ou de mariages. Plus récemment, il y aura de cela dix ans en novembre, au décès de ma mère, j'ai fait venir chez moi le pasteur protestant de ma ville pour préparer la cérémonie religieuse. Un membre de la famille que je ne citerai pas est arrivé alors, disant que de toute façon ma mère avait laissé un papier en disant qu'elle ne voulait pas de messe. "De messe ?", m'a dit alors le pasteur ? "Elle était catholique ?". Force me fut d'admettre que ma mère avait été élevée dans la religion catholique mais avait toujours affirmé préférer la religion protestante (église réformée de France) plus sobre, plus tolérante et sans chichis (elle avait été traumatisée étant enfant par un curé d'église qui lui avait dit qu'elle irait tout droit en enfer parce que ses parents étaient divorcés). Le pasteur s'était levé et semblait prêt à plier bagage. "Ah, si elle était catholique…". J'avais alors au beau milieu de mon salon une aquarelle représentant le Christ que j'avais peinte d'après une icône au moment du décès de mon père huit ans plus tôt. Je me suis levée brusquement, ai regardé le pasteur droit dans les yeux, puis ai désigné l'image du Christ et lui ai dit : "Vous l'avez vu Celui-là ? Celui que vous prétendez servir ? Vous l'avez vu ? Il nous regarde. Il est là au milieu de nous et vous osez dire que vous n'allez pas célébrer un office religieux pour ma mère sous prétexte qu'elle ne fait pas partie de la même religion que vous ? Vous croyez vous qu'Il s'intéresse aux guéguerres de religions des hommes ? Toute mon enfance j'ai souffert de cette division dans ma famille entre pro-cathos et pro-protestants. C'est ma mère qui nous a appris à croire en Dieu et à prier. Alors vous ne pouvez pas lui refuser un culte pour ses obsèques". Visiblement touché par mes paroles, le pasteur s'est remis assis et nous avons pu commencer à préparer le déroulement de la cérémonie. Elle a eu cette chance. Vincent non. C'est ma mère aussi qui aimait tant Van Gogh, le jaune, les tournesols… Elle était née un 27 juillet. Vincent a reçu la balle mortelle un 27 juillet, tirée de sa main ? tirée par René Secrétan ? A chacun de se faire une opinion. Personnellement la thèse de l'accident me paraît plausible, plus que celle du suicide.