jeudi 19 juillet 2018

Cueillir l'instant

Cueillir l'instant

Il faut prendre le bon moment lorsqu'il se présente, ces instants-là sont si rares. Marie K.




"Vincent qu'on assassine", de Marianne Jaeglé

Je l'ai lu presque d'une traite, pourtant Dieu sait comme j'ai tendance à sombrer dans le sommeil lorsque je lis trop longtemps. La fatigue, mes yeux qui par moments refusent de continuer à me suivre… Mais j'étais prise par le récit, par la façon dont l'auteure nous retrace la vie de Vincent Van Gogh depuis son installation dans la maison jaune à Arles (mai 1888) jusqu'à sa mort et son enterrement à Auvers-sur-Oise fin juillet 1890. 
Le narrateur est extradiégétique mais également omniscient et on pénètre de temps à autre les pensées de Vincent, sa façon de voir, de ressentir, ses espérances, ses tourments et les interrogations qui sont les siennes. Vincent le pur, Vincent le solitaire malgré lui, Vincent l'écorché, Vincent qui doute, qui porte une admiration et une amitié sans borne à Paul Gauguin qui visiblement ne les mérite pas. L'épilogue nous le confirmera. Vincent qui veut surtout ne jamais nuire à qui que ce soit et qui a priori - n'en déplaise aux détracteurs de la thèse - aurait eu des paroles assez ambiguës sur son lit d'agonie pour laisser penser à un suicide plutôt que de livrer quelqu'un qui lui aurait fait du mal. A l'image de Dieu, à l'image du Christ, car n'oublions pas que - même s'il n'y est pas fait allusion dans ce roman - Vincent avait voulu devenir pasteur et était obsédé par les récits bibliques et les paraboles de Jésus, par l'image du semeur, par le Créateur. La religion qui n'a pas voulu de lui – il n'a pas pu finaliser ses études de théologie et est devenu prédicateur laïc avant de se tourner définitivement vers la peinture. Le monde de la peinture qui n'a pas voulu de lui puisque officiellement il n'a vendu qu'une seule toile de son vivant, "la Vigne rouge", achetée à Bruxelles en 1890. La vigne, encore une image biblique très symbolique dans les évangiles. 

Je n'ai pu retenir mes larmes au moment du récit où l'on apprend que puisque Vincent est premièrement "protestant" et deuxièmement "suicidé" (thèse officielle) il n'aura ni droit à un office religieux dans la petite église d'Auvers-sur-Oise dont il a fait un mois avant sa mort une toile de toute beauté – le curé refuse de dire une messe pour un protestant - ni même celui d'être enterré dans le cimetière attenant à l'église.  Il aura tout de même droit à une sépulture dans le nouveau cimetière qui se trouve à l'écart dans un champ en hauteur, non loin de l'endroit où il a peint son dernier tableau "champ de blé aux corbeaux".  Cela m'a bouleversée car cet être qui a passé sa vie à penser à son Créateur, à vivre dans la plus grande simplicité et humilité, n'a même pas eu droit à une messe ou à un culte pour ses obsèques. 
J'ai connu dans mon enfance et dans mon adolescence pareils conflits de clochers, des curés qui refusaient de "prêter" leur église même le temps d'un office à la communauté protestante pour la cérémonie religieuse de l'un des leurs. C'est la mairie de la ville qui prêtait alors une petite salle en rez de chaussée, celle-là même qui servait pour les cours de catéchisme et pour les cultes de baptêmes ou de mariages. Plus récemment, il y aura de cela dix ans en novembre, au décès de ma mère, j'ai fait venir chez moi le pasteur protestant de ma ville pour préparer la cérémonie religieuse. Un membre de la famille que je ne citerai pas est arrivé alors, disant que de toute façon ma mère avait laissé un papier en disant qu'elle ne voulait pas de messe. "De messe ?", m'a dit alors le pasteur ? "Elle était catholique ?". Force me fut d'admettre que ma mère avait été élevée dans la religion catholique mais avait toujours affirmé préférer la religion protestante (église réformée de France) plus sobre, plus tolérante et sans chichis (elle avait été traumatisée étant enfant par un curé d'église qui lui avait dit qu'elle irait tout droit en enfer parce que ses parents étaient divorcés). Le pasteur s'était levé et semblait prêt à plier bagage. "Ah, si elle était catholique…". J'avais alors au beau milieu de mon salon une aquarelle représentant le Christ que j'avais peinte d'après une icône au moment du décès de mon père huit ans plus tôt. Je me suis levée brusquement, ai regardé le pasteur droit dans les yeux, puis ai désigné l'image du Christ et lui ai dit : "Vous l'avez vu Celui-là ? Celui que vous prétendez servir ? Vous l'avez vu ? Il nous regarde. Il est là au milieu de nous et vous osez dire que vous n'allez pas célébrer un office religieux pour ma mère sous prétexte qu'elle ne fait pas partie de la même religion que vous ? Vous croyez vous qu'Il s'intéresse aux guéguerres de religions des hommes ? Toute mon enfance j'ai souffert de cette division dans ma famille entre pro-cathos et pro-protestants. C'est ma mère qui nous a appris à croire en Dieu et à prier. Alors vous ne pouvez pas lui refuser un culte pour ses obsèques". Visiblement touché par mes paroles, le pasteur s'est remis assis et nous avons pu commencer à préparer le déroulement de la cérémonie. Elle a eu cette chance. Vincent non. C'est ma mère aussi qui aimait tant Van Gogh, le jaune, les tournesols… Elle était née un 27 juillet. Vincent a reçu la balle mortelle un 27 juillet, tirée de sa main ? tirée par René Secrétan ?  A chacun de se faire une opinion. Personnellement la thèse de l'accident me paraît plausible, plus que celle du suicide. 

8 commentaires:

  1. Très beau texte, plein d'émotions :-)

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    1. Merci ma belle, et merci pour ta visite et lecture.
      Gros bisous 😘

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  2. J'adore quand tu écris ce genre de posts, Marie! Toutes les petites synchronicités, de date, de noms, en plus... Bon, je me comprends.
    J'en profite pour répondre ici à une question que tu m'as posée: oui je suis allée à Auvers, plusieurs fois, j'habite à côté! Je comprends tellement mieux maintenant que tu aies envie d'y aller.
    Mon agm (celle qui s'est mariée avec un Suisse) était d'Auvers et y a vécu toute sa jeunesse! enfin jusqu'à ce qu'elle suive son mari en Suisse.
    Je suis allée sur la tombe de Vincent Van Gogh deux ou trois fois.. je vais essayer de te retrouver des photos, mais tu sais, elles ne paient pas de mine...
    En revanche, ce que tu racontes au sujet de ses obséques me fait rire jaune. Enfin, pas rire du tout! Car figure toi que l'église d'Auvers (enfin, toute la ville d'Auvers) a bien entendu "récupéré" le fait que Van Gogh ait fini sa vie dans cette ville, pour se faire de l'argent. Dans l'église, il y a quelque chose de dessiné en rapport avec Van Gogh sur les petites bougies (payantes), ce qui donne envie de plutôt faire brûler celles ci (elles sont plus jolies) que les toute simples, moins chères.
    Je voulais te parler d'une autre anecdote. La plus jeune soeur de ma mère a perdu son premier enfant, un fils, alors qu'il était bébé. (Il aurait eu l'âge de mon frère). Il n'était pas encore baptisé.... "l'église" a refusé de l'enterrer religieusement. Je me rappelle comme mes parents, qui n'étaient pourtant pas pratiquants, étaient profondément choqués en me racontant ça.
    Bon, je vais essayer de retrouver mes photos d'Auvers. Je pense en avoir mises sur un de mes blogs précédents car la dernière fois que j'y suis allée est relativement récente.
    Des bisous, Marie.

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    1. Pour les synchronicités, il y en a une autre avec Vincent. Le frère de ma mère était né un 30 mars comme Vincent et ma gmm est décédée un 30 mars.
      C'est bien tout ce que tu m'écris car ça me fait penser à deux choses : la première est que la ville d'Aix en Provence qui haïssait ce que faisait Paul Cézanne et où le directeur du musée avait dit que de son vivant (à lui, directeur) il n'y aurait pas une seule toile de Cézanne qui entrerait dans son musée, se revendique de Cézanne et à chaque coin de rue, dans chaque café, boutique (j'extrapole mais pas loin) ils utilisent le nom et l'image de Cézanne pour faire venir le touriste. (comme l'église d'Auvers sur Oise aujourd'hui).
      Deuxièmement, ma gmp qui était catholique et avait épousé un protestant avait un couple de voisins qui vivaient sans être mariés. Ils ont eu un bébé qui est décédé sans être baptisé. Le curé a refusé de dire une messe et même l'inhumation était compromise. Ma gmp est allée trouver le pasteur du Temple protestant. Celui-ci a accepté de célébrer un culte pour le bébé. Du coup, toute la famille de ce bébé s'est convertie au protestantisme. Et le plus fort est que le hasard a fait que trente ans plus tard, je devienne conseillère municipale sur une liste d'opposition de la mairie de la ville où je vivais et que parmi ces conseillers, il y avait un homme qui était l'un des autres enfants de ce couple. C'est lui qui m'a raconté toute l'histoire que je ne connaissais pas et qui m'a dit plein de belles choses sur ma gmp qu'on avait passé mon enfance à me dépeindre comme une vilaine femme. Comme j'ai regretté de ne pas l'avoir mieux connue de son vivant.
      C'est fou quand on y pense, à toutes ces coïncidences ou phénomènes de synchronicité.
      Oui, je veux bien des photos si tu les retrouves. Gros bisous Ambre. Bonne journée.

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  3. Coucou Marie, me revoilà après une "longue" absence. J'ai eu envie de relire ce post après notre échange en privé, et pour tout dire, j'ai aussi envie de lire ce livre maintenant. En tout cas merci Marie, parce que grâce à toi je réalise que sans doute certains de mes ancêtres ont côtoyé des artistes! C'est fou tout de même que je ne me sois jamais interrogée là dessus! :-)
    Je te fais des gros bisous. Belle fin de journée!

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    1. Oui tu te rends compte, ton aïeule Valentine mais encore plus certainement ses parents et ses oncles et tantes ont dû voir passer Vincent, chevalet, toile, et boîte de peintures à la main pour aller peindre ses toiles devenues célèbres dans le monde entier. Ils ont pu également des années plus tôt y croiser Pissarro et Cézanne qui a vécu également deux années à Auvers-sur-Oise. J'espère que tu aimeras cette lecture tout autant que moi même si Auvers, c'est seulement dans les trois derniers mois de sa vie. Mais avant, tu fais bien connaissance avec l'homme Vincent Van Gogh, celui qui pense, celui qui doute...
      Belle fin de journée à toi aussi. Gros bisous.

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  4. Je ne vais pas me remettre de suite "sur Auvers" car j'ai un texte généalogique en cours pour mes filles, mais quand j'en aurai fini, j'irai consulter les recensements, maintenant que je sais (grâce à toi, en quelque sorte!) que les parents de mon agm habitaient dans le mm coin que des artistes!
    Pour le livre, ce qui m'attire c'est la façon dont tu dis que c'est raconté. Dès que l'occasion se présente je le feuillète pour voir si la lecture est susceptible de me plaire.
    Gros bisous Marie. Je vais - normalement - répondre à ton mail, maintenant.
    Belle journée à toi :-)

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    1. Franchement, il est super. le style est agréable, fluide, pas besoin de relire deux fois la même phrase pour comprendre (tout ce que je déteste chez certains auteurs).
      Je viens d'en finir un autre toujours autour de Vincent mais différent, il concerne ses œuvres et sa correspondance. J'en toucherai deux mots sur la toile dès que j'aurai cinq minutes.
      A tout de suite par email si j'ai bien compris ;-)
      Gros bisous.

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