En ce weekend de Pâques, qui cette année doit nous rappeler plus que jamais le sens de cette célébration appelée LE PASSAGE, j'ai choisi de ressortir mes textes écrits en avril 2010. Je vous souhaite bien entendu un joyeux passage...
Vendredi
Il ne comprenait pas. Son père lui avait pourtant dit qu’il serait toujours là, avec lui, et qu’il pouvait compter sur lui. Il se demandait vraiment avec anxiété - ou était-ce du fait des violentes douleurs qu’il ressentait jusqu’au plus profond de sa chair et qu’il ne pouvait plus supporter –si celui-ci l’avait abandonné et il commençait à douter. Comment avait-il pu en arriver là ? Il n’avait pourtant toujours fait que transmettre des paroles d’espoir et de consolation, des paroles d’amour aux hommes et aux femmes qu’il avait croisés sur son chemin et il savait qu’il avait eu raison d’écouter cette voix qui le guidait, qui le dirigeait, qui lui dictait toutes ses pensées, toutes ces paroles. Alors ? Comment l’amour de l’amour avait-il pu engendrer tant de haine à son égard ? Comment l’amour de l’amour avait-il pu engendrer tant de peur ? Que craignaient-ils tous ? Qu’il veuille prendre la tête du pays et se proclamer roi ? Ce n’était pas du tout son intention, et même loin de là. D’ailleurs, il le leur avait rappelé sans cesse : « mon royaume n’est pas de ce monde. » Certains mêmes parmi ses plus proches compagnons lui reprochaient de n’avoir pas voulu prendre le pouvoir sur l’occupant. Alors, pourquoi tant de haine ? Pourquoi « ça » ? Pourtant, des jours heureux et même exceptionnels, il en avait connus. Que de souvenirs défilaient dans sa tête qu’il avait du mal à tenir encore bien droite.
Ah, se souvenait-il, se parlant à lui-même, tu te rappelles le regard lancé par cette femme, avant de s’éloigner, alors que tu venais juste de réussir à la tirer d’un bien mauvais pas. Ses congénères masculins voulaient la lapider parce qu’ils l’avaient surprise en flagrant délit d’être dans les bras d’un homme qui n’était pas son mari ! Quel toupet !
Et eux, eux ? ils ne trompaient donc jamais leurs épouses, ne commettaient aucune tricherie avec qui que ce soit ?! Non mais, quelle mentalité ! Hypocrites !
Et l’aveugle, l’aveugle, qui n’en pouvait plus de joie de pouvoir enfin voir la lumière du soleil. Et cet autre – paralytique depuis tant d’années- à qui tu enjoignis de prendre son grabat et de repartir en marchant, le portant au lieu d’y être allongé ! La tête qu’ils faisaient tous ! Fallait les voir ! Verts de jalousie, rouges de rage. C’est quand même qu’ils ont voulu me faire un procès, me mettre en prison parce que j’avais guéri quelqu’un un jour de Sabbat et qu’ils disaient que ça offensait Dieu. « Leur » image de Dieu peut-être, celui qui dans leur raison et leur esprit a fini par remplacer l’originel, mais pas mon père. Est-ce que mon père a des priorités pour les jours de guérison, je te demande un peu. C’est vraiment n’importe quoi.
Ils ont pris à la lettre les préceptes transmis par nos ancêtres, qui venaient de mon père il est vrai, mais les ont tellement trahis, durcis comme de la pierre qu’ils ont fini par endurcir leurs cœurs et leur façon de penser, qu’ils en ont fait une prison et une arme pour tuer et mépriser au lieu d’un outil pour partager et mieux vivre en communauté. Quel gâchis !
Et mes amis, mes frères, ceux qui se disaient mes disciples. Ils faisaient quoi cette nuit dans le jardin des oliviers quand je leur ai demandé de prier, de rester avec moi tellement j’avais peur, de ne pas s’endormir. Ils se sont endormis ! Je ne leur en veux pas, je sais que la nature humaine a ses faiblesses et pour moi aussi c’est dur souvent, mais mon père me soutient, mon père me réveille, mon père me parle et me susurre des mots tout au creux de l’oreille et j’avoue que ça m’aide, que ça me tient en éveil. Et aussi il m’encourage. Il me dit que tout ira bien… Ouais, en ce moment, je me demande…
Et tu te rappelles quand tu rigolais tellement bien avec tes amis, chemin faisant, ou à une table d’auberge ou de taverne, avec des inconnus ou même des prostituées (on me l’a assez reproché !) levant nos verres à l’amitié, l’amour, la joie, n’oubliant jamais pour ma part de garder suffisamment de sérénité et les pieds sur la terre pour ne pas rater ce que j’avais à faire. Et le regard et la tendresse de Marie, celle qui venait de Magdala, qui te dévorait des yeux et aussi du cœur tellement elle t’était devenue reconnaissante, à la limite de la dévotion (je n’en demandais pas tant, CHERE Marie) après que tu l’as aidée à retrouver le chemin vers son cœur et vers sa raison d’être. C’est tellement vite fait de dévier quand tu as des problèmes et que tu ne sais pas les surmonter tout seul parce que dès ta naissance la vie a oublié de te faire des cadeaux dans certains domaines de l’existence. C’est pourtant vrai qu’on ne vient pas tous au monde égaux ! Y a qu’à regarder les éclopés, les malades (d’esprit ou de corps) de naissance, les mal-aimés, les mal-venus, les mal-acceptés… les rejetés et les rejetons. Pas un fleuve tranquille le chemin ici-bas. Mais bon, j’ai réussi à en toucher plus d’un, à faire passer le message, à montrer qu’on peut re-partir d’un pied nouveau même lorsqu’on a déjà touché le fond. A condition de changer son regard. Et aussi de savoir prendre du temps pour soi, prendre du temps pour entrer en résonance avec son cœur, avec son souffle, avec son esprit. Comment je leur ai dit déjà ? Ah oui : vous devez prier en pneumati kai aletheia (je veux dire en souffle et en pleine conscience, en vérité), comme ça tu décontractes le corps, tu lâches les tensions et tu ouvres ton esprit à celui de mon père, de notre père veux-je dire. C’est pas pour rien que je vais régulièrement TOUS les jours sans exceptions me retirer dans un endroit tranquille pour faire de même. Prier, ce n’est pas penser à mon père, c’est être et ne faire qu’un avec lui. Ce n’est pas avoir de belles idées sur lui, ou lui demander des choses, c’est faire un avec lui. Quand tu es avec un ami, tu ne penses pas à lui, tu respires avec lui. C’est tout.
Et là, est-ce parce que j’ai de plus en plus de mal à respirer que je commence à douter ? Regarde-les là en bas, ou pour le peu qui sont restés après le « spectacle » et après le défilé d’injures et de moqueries, ils n’attendent plus qu’une chose c’est qu’on arrête de respirer, les deux brigands et moi, pour pouvoir rentrer chez eux et commencer à faire la fête. C’est vrai que c’est la fête de Pessah qui se prépare. Et demain est un jour où l’on ne travaille pas dans cette contrée. Ils ont mal calculé leur coup, maintenant ils sont bien ennuyés.
C’est vrai que j’avais beau savoir ce qui allait arriver, c’était plus facile « avant » de leur dire en toute confiance « Sous peu vous ne me verrez plus, et puis encore un peu et vous me verrez, Je vais vers le père ». N’ont-ils donc pas compris que mon père est aussi leur père ? Maintenant que je souffre dans ma chair, je deviens pleinement humain et je doute et j’ai peur. Je croyais que père arrêterait leur main, je croyais que père interviendrait à la dernière seconde pour leur prouver que je suis bien celui qu’il leur a envoyé pour leur transmettre son message d’amour et de communion. Le pire, le pire de tout cela, c’est que c’est sous couvert du nom de mon père que les pharisiens et les scribes ont réussi à convaincre le consul que je devais mourir. Ils ont retourné la loi donnée par mon père contre son messager.
Même la lumière du jour s’est cachée en signe de désapprobation (merci papa). Cela fait au moins trois heures que nous sommes dans les ténèbres alors qu’il devrait faire encore jour, ou sont-ce mes yeux qui se voilent à cause de la douleur ?
J’ai soif, j’ai si soif….
« J’ai soif… » Zut, je m’étais pourtant juré de ne pas me plaindre, de ne pas laisser échapper un seul son pour ne pas les réjouir et leur donner raison de croire que je ne suis pas celui qu’ils ne veulent pas admettre que je suis. Mais c’est si dur, père…
« Eli, Eli, lama sabachthani ? » (mon père, pourquoi m'as-tu abandonné ?)
Ah, une éponge, avec un peu de liquide qui va me désaltérer… Pouah, mais qu’est-ce ? C’est aigre… La tête me tourne. Je….
Avant de laisser sa tête retomber sur sa poitrine, le condamné eut à peine le temps de s’écrier : « Tout est accompli » et il rendit son dernier souffle.
« Et voici, le voile du temple se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas, la terre trembla et les rochers se fendirent, les sépulcres s’ouvrirent, et plusieurs corps des saints qui étaient morts ressuscitèrent. […]
Le centenier et ceux qui étaient avec lui pour garder Jésus, ayant vu le tremblement de terre, et ce qui venait d’arriver, furent saisis d’une grande frayeur, et dire : Assurément, cet homme était fils de Dieu. » Matthieu 27, 51-54.
Marie K. le 02.04.2010
Au troisième jour
Ils ont déposé ma dépouille rapidement car la nuit tombait et la fête de Pessah était sur le point de commencer. Il y avait un tombeau neuf dans le jardin tout proche et c’est là qu’ils m’ont laissé, sans prendre le temps de procéder aux rituels habituels.
Je ne dévoilerai pas le mystère qui me fit passer de la mort à la vie, je ne parlerai pas de la lumière, de ce monde au-delà du monde et pourtant si proche, si présent, juste au-delà du voile…. au milieu de tous, proche et lointain, présent, passé et à venir tout à la fois… Mais maintenant, pour un temps encore, je suis là, dans le jardin, et je vois…
Je la vois, elle qui me cherche, elle qui m’aimait tant et qui aujourd’hui me pleure…
Elle qui m’aima tant qu’elle est venue la première ce matin, pour embaumer mon corps mortel à l’aide des baumes qu’ils avaient déposés près de moi.
La pierre était déjà roulée, et elle n’eut qu’à entrer, apercevant ma tunique au sol…
Est-ce la peur, est-ce la surprise ? Elle s’en est retournée aussitôt, avertir Pierre, et Jean, celui que j’aimais tant.
Ils ont accouru tout aussitôt. Ils ont vu. Ils ont cru.
Ils ont vu ma tunique de lin posée sur le sol, et plus loin, le suaire qui avait couvert mon visage…
Et à leur suite, Marie, CHERE Marie, tu as vu la lumière des messagers du ciel invisible et entendu leurs voix. Ils t’ont dit de sécher tes larmes mais quand le cœur est en deuil, il est difficile d’entendre et de ne pas pleurer. Tu as besoin de consolation et je suis là, juste derrière toi.
Ma présence te fait se retourner, croyant apercevoir le jardinier….
Je suis le jardinier de ce jardin du monde. Je prends soin de mes fleurs, comme je prends soin de tous ceux qui me cherchent, et précisément tu me cherches, de toutes tes forces, de toutes tes larmes, de tout ton corps et ton cœur attristés :
« Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? »
« Si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis, j’irai le chercher. »
Ma voix se fait plus douce encore…
« Myriam… »
« Rabbouni »
Ca y est. Elle sait maintenant. Elle m’a reconnu et veut me serrer contre son cœur, me retenir.
Comment accepter de perdre deux fois celui qu’on aime et qu’on a retrouvé ? Oh sentiments, et attachements, nature humaine, comme vous nous causez bien du tourment et de la peine.
Non Marie, CHERE Marie, il ne faut pas. Tu ne dois pas. De chair je ne suis plus, et pas encore monté vers mon père…Je l’avais annoncé : vous m’aurez pour un temps avec vous, et puis ne m’aurez plus, et ensuite je reviendrai.
« Noli me tangere… Va vers mes frères et dis-leur que je monte vers mon père ET votre père, vers mon Dieu ET votre Dieu. »
noli me tangere : ne me touche pas